Un chiffre tombe, une règle change, et ce sont des dizaines de milliers de vies professionnelles qui basculent en silence. Depuis 2018, en cas d’arrêt maladie, l’agent public voit sa rémunération suspendue le premier jour. Cette disposition, abolie en 2014 avant d’être rétablie, ne concerne pas les arrêts liés à la maternité ou à la longue maladie.
La mise en place du jour de carence dans la fonction publique ne cesse d’alimenter les échanges et de susciter des réactions contrastées. Si certains voient dans cette mesure un outil pour réduire les absences de courte durée, d’autres y perçoivent un simple déplacement du problème, avec des arrêts plus longs pour contourner la règle. Rien n’est simple : l’application varie selon les branches publiques, jetant le doute sur la justesse du régime. Entre alignement affiché sur le privé et réalité du terrain, la question de l’équité reste entière.
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Le jour de carence dans la fonction publique : de quoi parle-t-on vraiment ?
Le jour de carence cristallise les tensions depuis son apparition dans la fonction publique. En pratique, ce dispositif impose à tout agent en arrêt maladie de ne pas être payé le premier jour d’absence. Ce point tranche avec le secteur privé, où la très grande majorité des employés (près de 90 %) voient ce délai compensé par leur employeur ou une couverture complémentaire, atténuant les effets de la carence.
À son origine, la mesure vise à limiter les arrêts maladie de courte durée et à réaliser des économies sur les budgets publics. Elle s’adresse à l’ensemble des agents publics, qu’ils soient fonctionnaires ou contractuels, sauf pour ceux affectés par une maladie chronique, victimes d’un accident de service ou en congé maternité. Là où la fonction publique se distingue, c’est par une application uniforme, avec un impact marqué sur le bloc communal (collectivités territoriales et intercommunalités), où la proportion d’agents concernés reste élevée.
Dernier rebondissement : le gouvernement Barnier propose, dans le projet de loi de finances 2025, de durcir la règle. Le texte prévoit un passage de un à trois jours de carence, accompagnés d’une indemnisation réduite à 90 % du salaire pendant les trois premiers mois d’arrêt pour maladie ordinaire. Si l’argument affiché est de rapprocher les régimes public et privé, la réalité est plus nuancée : nombre de salariés du privé ne subissent pas réellement de baisse de revenu lors de ces jours de carence.
Voici ce que la réforme cherche à obtenir, mais aussi ce qu’elle peut induire :
- Objectif mis en avant : renforcer la responsabilisation des agents et mieux contrôler la dépense publique.
- Contrecoup immédiat : montée de la pression sur les employés, en particulier dans le bloc communal, garants de missions essentielles.
La volonté de transformer la fonction publique s’accompagne donc d’une remise en question profonde des droits des agents en cas de maladie. Les débats parlementaires, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, révèlent la difficulté de trancher entre maintien d’un unique jour de carence et extension du dispositif.
Quels effets concrets sur les absences maladie des agents ?
L’introduction du jour de carence bouleverse les pratiques au sein de la fonction publique. Les statistiques révèlent une baisse des arrêts courts après sa mise en place. Mais ce changement ne touche pas les arrêts longs, liés à des maladies sérieuses ou à une dégradation de la santé.
Une conséquence moins visible émerge : le présentéisme. Par crainte de perdre une journée de salaire, certains agents préfèrent continuer à travailler, même malades. Ce comportement concerne surtout les femmes, les agents moins qualifiés, le personnel en éducation prioritaire ou les familles monoparentales. Dans le bloc communal, particulièrement exposé, la tension monte encore d’un cran.
Ce phénomène ne s’arrête pas à une simple présence au poste. Il fragilise la santé à long terme des agents et tire vers le bas la performance de tout un service. Les territoriaux, souvent déjà sous pression, en font l’expérience au quotidien, parfois sans pouvoir en parler. Ce constat pose la question de la réelle efficacité du jour de carence, au-delà de la baisse affichée des absences courtes.
Pour résumer les grands changements observés :
- Baisse des arrêts de courte durée
- Augmentation du présentéisme
- Fragilisation accrue pour les agents déjà en situation de vulnérabilité
Études, chiffres et analyses : ce que disent les données récentes
Les dernières études statistiques menées par l’Insee et la Cour des comptes nuancent l’impact du jour de carence dans la fonction publique. Si la diminution des arrêts courts est indéniable, elle ne suffit pas à démontrer l’efficacité du dispositif, tant les causes de l’absentéisme sont multiples. La Cour des comptes note, dans ses rapports, l’existence de stratégies de contournement et d’effets d’aubaine qui réduisent l’impact budgétaire initialement anticipé.
Sur le plan financier, l’IGAS et l’IGF estiment à 300 millions d’euros par an les économies potentielles générées. Pourtant, la plupart des analyses indiquent que la prévention et l’amélioration des conditions de travail s’avèrent bien plus efficaces pour faire reculer l’absentéisme sur la durée. Par ailleurs, la DGCL signale que certains employeurs publics accordent des congés spécifiques pour neutraliser la carence, ce qui complique la lecture des résultats.
L’argument de l’allongement du délai de carence pour combler l’écart d’absences entre public et privé fait lui aussi débat. La majorité des salariés du secteur privé bénéficient d’une prise en charge rapide de la carence grâce aux conventions collectives, alors que, dans la fonction publique, la perte de rémunération reste bien réelle et directe. Relyens, groupe mutualiste, souligne que la contrainte financière seule ne suffit pas : il faudrait aussi responsabiliser les cadres et les praticiens de santé pour mieux anticiper les arrêts.
Quels droits pour les agents face au jour de carence ?
Le jour de carence dans la fonction publique pose de nombreuses questions sur l’indemnisation et les catégories d’agents concernées. Lorsqu’un agent est placé en congé de maladie ordinaire (CMO), la première journée d’absence n’est pas payée : le traitement indiciaire, les indemnités et le supplément familial de traitement sont suspendus.
Certaines situations, cependant, échappent à la règle. Sont exclus du dispositif les arrêts pour affection longue durée (ALD), congé maternité, congé pour invalidité temporaire imputable au service (Citis), congé de longue maladie (CLM) ou congé de longue durée (CLD). Ces exceptions s’appliquent pour protéger les agents confrontés à des maladies lourdes ou à des contextes spécifiques.
Pour les agents contractuels, la loi de finances 2025 prévoit une indemnisation à 90 % du salaire sur les trois premiers mois de CMO. Les débats restent vifs : l’Assemblée nationale privilégie le maintien d’un seul jour de carence, tandis que le Sénat souhaite l’étendre à trois jours.
Rappelons les points clés du dispositif :
- Application du jour de carence pour toute absence liée à une maladie ordinaire.
- Dispense prévue pour les congés maternité, ALD, accidents de service ou maladies professionnelles.
- Règles d’indemnisation en évolution pour les agents contractuels, selon les textes budgétaires en discussion.
Au fil des réformes, le jour de carence devient le révélateur d’une tension persistante entre maîtrise des coûts et reconnaissance des réalités humaines. Chiffres, débats et nouvelles règles se succèdent : mais au bout du compte, ce sont les agents, sur le terrain, qui en ressentent chaque impact, parfois bien au-delà des tableaux budgétaires.